Homélie du père François-Xavier à l’occasion de la Dédicace du Latran
Cette fête de l’anniversaire de la consécration de la Basilique du Latran nous rappelle que nous célébrons en quelque sorte notre Eglise-Mère. Puisque cette basilique majeure est la première construite à Rome, sur la colline du Latran, au 4ème siècle. Sur sa façade, nous pouvons lire en latin : « Mère de toutes les Eglises du monde ». Elle fut consacrée par le pape Sylvestre 1er, le 9 novembre 324. Elle fut bien sûr reconstruite et agrandie plusieurs fois depuis. Elle fut dès le départ l’église-cathédrale de l’évêque de Rome : la cathédrale du pape n’est donc pas St Pierre de Rome comme on le pense souvent, mais Saint Jean de Latran (Baptistère Saint Jean-Baptiste).
En principe, toute église est tenue de célébrer l’anniversaire de sa dédicace, c’est-à-dire du jour où elle fut consacrée au culte de Dieu. En pratique, nous ne le faisons plus guère, sauf pour la cathédrale de l’évêque (30 septembre 567). Il existe même dans le missel une messe « pour les églises dont on ignore la date de consécration ».
Je me souviendrai toujours de la consécration de l’église Ste Rita, à Conakry, que nous avions construite de nos mains. Le mélange du saint chrême et de l’encens brûlant répandu sur l’autel l’avait soudain enflammé, marquant ainsi symboliquement que Dieu en prenait possession… L’assemblée très émue chantait : « tu es Petrus », « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ».
Nous vivions cette liturgie de la dédicace de façon vraiment catholique. Nous expérimentions que nos Eglises locales ne se suffisent pas à elles-mêmes : elles ne sont pleinement des Églises que si elles demeurent en communion les unes aux autres, dans l’unité de la grande Église Catholique, c’est à dire universelle, dont le signe visible est la communion des évêques autour de l’évêque de Rome, le pape, successeur de Pierre. Fêter la Dédicace du Latran, en ce 9 novembre, c’est une manière de fêter l’unique Eglise de Jésus Christ dont nous sommes les pierres vivantes.
Il nous faut donc aimer nos églises, lieu de la présence de Dieu. Aimer singulièrement cette Eglise de Rome comme une Eglise mère, une Eglise source. Lorsque les évêques se rendent à Rome, tous les 5 ans, pour rencontrer le pape, ce n’est pas seulement une rencontre de travail, mais ils font leur visite « ad limina apostolorum », c’est-à-dire un pélerinage au tombeau des saints Apôtres Pierre et Paul, pour raffermir le lien de la foi et la communion dans l’amour. Mgr Oscar Romero, archevêque du Salvador, avait écrit dans son journal, lors d’une visite ad limina : « Je reviens à Rome avec l’émotion de toujours. Rome signifie pour moi revenir au berceau, au foyer, à la source, au coeur de notre Église. J’ai demandé au Seigneur qu’il me garde en
cette foi et en cette adhésion à Rome, que le Christ a choisie pour être le siège du pasteur universel, le pape… Là, sur le tombeau de saint Pierre, j’ai récité le credo des Apôtres en demandant au Seigneur la fidélité et la lumière pour croire et prêcher la même foi ». Tous ceux qui s’y sont rendus en pèlerinage peuvent probablement attester de la même expérience spirituelle.
Les trois lectures choisies pour ce dimanche nous éclairent encore davantage sur ce mystère de l’Eglise que nous célébrons. Dans chacune d’elle revient, comme un leitmotiv, le mot « temple ». Dans la première lecture, le prophète Ézéchiel a la vision du Temple futur, d’où jaillit l’eau vive et vivifiante, comme un torrent débordant. L’évangile nous montre la réalisation de cette prophétie dans et par le Christ : « Le Temple dont il parlait c’était son corps ». Dans le corps du Christ habite la plénitude de la divinité, c’est pourquoi il est lui-même le lieu du culte nouveau en esprit et en vérité, le temple spirituel d’où ruisselle l’Esprit Saint, source d’eau vive jaillissant en vie éternelle. Cette vie divine de l’Esprit, le Christ a voulu nous la transmettre par les sacrements de son Eglise, qui sont comme le canal de sa grâce. C’est pourquoi St Paul s’écrie : « C’est vous qui êtes le temple de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en vous ».
Nous comprenons donc que nos églises consacrées sont vénérées, en tant qu’elles sont aussi le signe et le lieu de la consécration de chacune des pierres vivantes que nous formons. Dans cette maison de Dieu qu’est cette maison de pierre, rappelons-nous ce que nous avons reçu : le don de la vie ! La vie divine, par l’eau du baptême et l’huile de la confirmation, qui fait de nous les enfants et les témoins de la grâce. C’est là aussi que nous recevons le corps et le sang du Christ, cette nourriture aussi nécessaire à notre vie spirituelle que le pain quotidien est nécessaire à la vie de nos corps. C’est là encore que nous recevons la miséricorde du Seigneur dans le sacrement de réconciliation, qui refait de nous les amis de Dieu, toujours infidèles et toujours pardonnés. C’est là, toujours, dans l’église consacrée, que plusieurs d’entre nous ont été consacrés, soit dans le sacrement du mariage, soit par le sacrement de l’Ordre ou par la profession religieuse. C’est là enfin que notre corps recevra la dernière bénédiction au moment du départ pour le grand voyage de l’éternité.
Ainsi les trois lectures de cette messe nous font contempler le mystère de l’Église en toute sa beauté, tel qu’il se déploie dans l’histoire du salut. Elles nous conduisent de l’ombre à la lumière, du temple de pierre au temple véritable, le corps du Christ ressuscité, dont nous sommes les membres vivants puisque l’Esprit de Dieu habite en nous. Le grand ménage que Jésus fait dans le Temple à coup de fouet, nous ne le refaisons pas en balayant nos églises, mais nous l’accomplissons en nous-mêmes, lorsque nous rencontrons le Christ et que nous accueillons sa grâce vivifiante, pour qu’elle fasse de nous des hommes nouveaux. Rendons gloire à Dieu pour son Eglise et dans son Eglise. AMEN !
Père François-Xavier Henry
Saint Michel, le 8 novembre 2025
