Homélie de Jean-Jacques Bourgois « Tout donner »

 Dans Brèves, Homélies

32ème  Dimanche du temps Ordinaire  – Année  B

« Amen, je vous le dit : cette pauvre veuve a mis dans le tronc plus que tout le monde. » Curieuse façon de compter, vous ne trouvez pas ? Depuis qu’il est installé devant la salle du trésor, Jésus a bien vu les grosses sommes que les uns et les autres venaient déposer. Comment deux petites pièces peuvent-elles faire le poids devant ces richesses ? Il faut bien nous rendre à l’évidence : Jésus ne regarde pas aux apparences, mais il discerne le fond des cœurs ; il met au jour les motivations secrètes. Est-ce qu’il ne nous arrive pas de nous laisser impressionner par le paraître et de rester à la surface des choses ?  L’évangéliste Marc situe cette scène entre l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, le jour des Rameaux et la Passion. Il est probable qu’il veut nous faire entendre les paroles de Jésus comme une invitation à mieux comprendre la Passion, plus que comme une simple invitation à être généreux.

Bien sûr, en ce temps où, tout prés de nous comme au loin, les détresses matérielles et spirituelles abondent, nous avons aussi à être généreux en prenant non seulement sur notre superflu, mais aussi sur notre nécessaire. C’est là l’enseignement constant de l’Eglise comme en témoigne « Gaudium et Spes » un document du  Concile Vatican II : « Il appartient à tout le peuple de Dieu… de soulager, dans la mesure de ses moyens, les misères de ce temps ; et cela comme c’était l’antique usage de l’Eglise, en prenant non seulement sur ce qui est superflu, mais aussi sur ce qui est nécessaire. » Où s’arrête le « nécessaire » ? Où commence le « superflu » ? Malgré tout, nous sommes bien obligés de reconnaître qu’il y a trop de différences entre les conditions d’existence des hommes dans un même pays, et surtout d’un pays à l’autre. Avec le contenu de ce qui est jeté dans les poubelles chez nous, on ferait vivre une population équivalente dans certains pays du Sud. Vous avez en mémoire le cri du Pape François dans son exhortation apostolique : « La Joie de l’Evangile » : « Nous devons dire NON à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale Une telle économie tue. Il n’est pas possible que le fait qu’une personne âgée réduite à vivre dans la rue meure de froid ne soit pas une nouvelle, tandis que la baisse de deux points en bourse en soit une. Voilà l’exclusion. On ne peut plus tolérer le fait que la nourriture se jette quand il y a des personnes qui souffrent de la faim. » Le partage, la solidarité ne sont pas des options pour les croyants puisqu’elles témoignent concrètement de l’amour de Dieu pour l’humanité. Et il n’est pas nécessaire d’être riche pour donner, comme en témoigne la veuve de l’Evangile. Tous ceux qui s’occupent d’œuvres de solidarité le savent bien : les pauvres sont les plus empressés à répondre à leurs appels. C’est ce que disait déjà St Vincent de Paul : « Heureusement pour les pauvres qu’il y a les pauvres, car eux savent donner. »

Cependant, il n’y a pas que l’argent et les richesses que nous devions donner ; la veuve de l’Evangile, avec ses deux piécettes, s’est donnée elle-même à Dieu, comme la veuve de Sarepta qui a pris le risque de faire confiance à la parole de Dieu transmise par Elie. Et ce faisant, elles annoncent le Christ qui dans sa confiance absolue à son Père, s’est donné pour nous sur la croix. Venu de l’intimité de Dieu, vivant dans notre intimité jusqu’à partager nos souffrances et notre mort, il est reparti dans l’intimité du Père, toujours pour nous, pour nous permettre d’accéder à Dieu. Y a-t-il une plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ? Je pose la question aux personnes mariées, ou à celles qui se préparent à se marier. Votre don total l’un à l’autre est un sacrement, c’est-à-dire le signe de l’Amour de Dieu pour chacun de nous, et le moyen de nous faire partager sa vie. Il y a plusieurs façons de donner sa vie : au goutte à goutte dans le mariage, ou sur la croix. Mais si l’amour est absent, ça n’a aucun sens. Et l’amour exige une confiance totale. Certains se marient sans vouloir se donner totalement, en donnant deux piécettes, mais en gardant l’essentiel sur un compte en banque secret. D’autres, comme les scribes dont Marc nous brosse une caricature, veulent se montrer. Certains sont prudents, pour ne pas dire méfiants, et commencent par construire leur maison avant de construire leur union. D’autres, que l’on pourrait prendre pour des fous, s’engagent sans être sûrs du lendemain, et construisent leur maison avec leurs enfants.

On pourrait dire que Jésus contemple avec admiration la veuve qui vient de donner tout ce qu’elle a comme il contemple les jeunes qui  se donnent tout entier l’un à l’autre dans leur engagement le jour de leur mariage. S’engager, c’est se donner en gage. Après, on ne s’appartient plus puisque l’on s’est donné à l’autre, et on est vraiment pauvre. Il faut bien reconnaître que cette conception ne correspond pas à la philosophie de notre époque qui place au premier plan l’épanouissement personnel et l’autonomie individuelle. Et si tant de mariages se terminent par un divorce, c’est parce que, au lieu de se donner, on se prête pour quelques années, avec la secrète intention de se reprendre si la relation ne nous donne pas tout ce qu’on en attend.

Dieu voit le fond des cœurs et on ne l’achète pas avec de gros billets. Mais il est toujours là pour combler de sa joie ceux qui savent envelopper leur obole dans l’humilité, le dévouement, l’amour tout simplement. Et le don devient richesse et abondance. La veuve de Sarepta, pour avoir partagé son dernier pain avec Elie, mange à sa faim tous les jours… La plus grande richesse de qui a donné son dernier sou, c’est l’entière liberté de se fier à Dieu, qui ne sait que donner et se donner. Ce n’est pas par hasard que L’Evangile nous rapporte cette scène juste avant que ne commence la Passion. Cette femme qui donne toute sa vie, tout ce qu’elle a pour vivre, est l’icône même de Dieu. Dieu est amour. Il n’a pas calculé. Il a tout donné. « Dieu, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous enrichir. » osera écrire St Paul (2 Co 8,9). Comme nous avons besoin, Seigneur… comme notre monde a besoin que tu nous rappelles sans cesse: « Voici mon corps livré, voici mon sang versé. » Donne-nous, Seigneur, un coeur nouveau, un coeur qui donne tout.

 

 

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